Arantxa URRETABIZKAIA,Koaderno Gorria,1998 (éd. en euzkerra), El cuaderno rojo, Pamiela, 2013.
Il y a longtemps déjà, j‘avais lu des romansde Bernardo Atxaga et de Ramiro Pinilla qui m’avaient permis de prendre unpremier contact avec la littérature basque contemporaine. (au cours de mesétudes, j’avais lu – ou dû lire – Pío Baroja et Miguel de Unamuno, ce dernier, plusconcerné, en dehors de sa thèse de doctorat, par « l’âme castillane »que par les aspirations de sa terre natale).
Plus récemment, des auteurs comme José JavierAbasolo ou Jon Arretxe m’ont fait découvrir la modernité et la vitalité decette littérature.
Et comme j’apprécie les romans basés surl’économie de moyens, les romans dans lesquels on a l’impression qu’il n’ya pas un mot de trop, pas un détail qui ne soit utile, les romans qui demandentune grande complicité du lecteur à l’instar de Cien metros de RamónSaizarbitoria qui avait fait l’objet de ma chronique précédente, je me devais delire El cuaderno rojo, roman qui, bien que très différent, tant parson contenu que par sa structure, est de cette veine.
Le premier chapitre est divisé en deux partiesqui ébauchent chacune ce que seront les deux fils conducteurs qui vonts’enchevêtrer jusqu’à un dénouement qui reste ouvert.
Dans la première, une avocate qui seratoujours désignée par une initiale « L » vient d’atterrir à Caracas. Lenarrateur conte ses déboires, sa vie au jour le jour et le succès de sesdémarches.
Quant à la deuxième, la protagonistenarratrice qui sera toujours appelée « La Madre », le lecteur laconnaîtra à travers les notes qu’elle a consignées à la première personne dansun cahier – le cahier rouge – qu’elle destine à ses enfants : « Je suis votre mère. Toi Miren, et toi, Beñat, qui êtes nés il y a treize et dix ans. Celafait déjà sept ans que vous avez disparu, séquestrés par votre père. Ce quisuit est ma vérité et parce que je ne sais pas ce que lui vous a raconté surmoi. » (11)
Cela pourrait être l’histoire d’une banaledisparition si elle ne s’insérait dans un contexte particulier.
Grâce à sa belle-mère, La Madre a appris queson ex-mari a refait sa vie et habite à Caracas avec les enfants. Dans un premier temps, grâce à descompagnons de lutte réfugiés là-bas,elle a réussi à les localiser. Commeelle ne peut se rendre elle-même au Vénézuela, elle confie à « L » lamission de trouver les enfants et de leur remettre le cahier rouge.
Pendant son séjour à Caracas, entre sesdéboires, ses préjugés, ses investigations, ses rencontres, ses déplacementsdans le trafic de cette mégalopole, les plans qu’elle échafaude, ... « L »va lire le fameux cahier rouge.
Progressivement, par petites touches, lelecteur devinera ce qui a provoqué la séparation d’un couple uni, quipartageait les mêmes engagements (lutter contre la dictature, pour laliberté du peuple basque et pour la défense de l’euskera sa langue).
Il découvrira aussi des détails du passé de LaMadre partagée entre l’attention qu’elle porte à élever ses enfants et lescontraintes liées à son engagement : réunions, manifestations,...
Elle a aussi connu la prison et, en attented’une décision du tribunal, elle s’est réfugiée, seule, en France où elledevait changer régulièrement de domicile. C’est pendant cet exil – etprobablement à cause de lui – que son mari, plus timoré, a décidé de quitterl’Espagne avec les enfants.
L’écoulement du temps est d’ailleurs rythmé augré de ces évènements politiques, des aléas familiaux (maladies infantiles, sorties en famille, anniversaires,etc.) et des fêtes marquantes (San Juan, San Sebastián, Noël, etc., ce qui permet de situer l’histoire entre 1977 (quelquesmois après la mort de Franco et première grossesse) et 1990 (Beñat a dix ans)sans qu’aucune date ne soit mentionnée, de même que l’ETA n’est jamais citée(il est seulement question d’une‘organisation’).
Si les propos qu’elle tient à ses enfants àtravers le cahier ne sont pas exempts de rancune envers son mari, au fur et àmesure que l’espoir d’entrer en contact avec eux ne fût-ce que parl’intermédiaire de « L » l’écriture de ses propos devient plusromanesque, et plus mièvre aussi. « ...vousavez grandi loin de moi, vous êtes arrivés alors à être ce que vous êtes sansmoi et je suis ici comme une plante fanée qui n’a pas connu la chaleur dusoleil depuis longtemps. ».
Ce changement de ton n’échappe pas à« L », chargée maintenant de traduire le cahier de l’euskera versl’espagnol : « Elle interromptsa lecture à cet endroit, très irritée. Le ton de La Madre lui déplaîtprofondément. Elle a l’impression qu’elle se pose en victime... mais la goutted’eau qui fait déborder le vase est cette‘plante fanée’, cela semble exagéré, de la pureauto-compassion. Elle est tentée de modifier certaines choses dans latraduction et reporte sa décision à plus tard. » (132-133).
Comme je l’écrivais au commencement de cettechronique, le dénouement reste ouvert. Il n’y aura pas de suite, et c’est bienainsi.